Tenté, mais pas épris – « La tentation de la pseudo-réciproque, Tome I » de Kylie Ravera

Présentation par l’auteur

Peter Agor en est persuadé, élève en Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles Scientifiques, à la base, est une activité à plein temps. Surtout dans un grand lycée prestigieux de la capitale qui a pour but avoué de former les élites de la Nation. Surtout quand le prof de math, qui a sur ses élèves un droit de vie ou de mort, a décidé qu’il avait une dent contre vous. Surtout quand on a l’impression d’avoir à la place du cerveau un marshmallow moisi. Alors, quand l’occasion se présente, est-ce bien raisonnable de se lancer dans une enquête policière aux côtés d’une jeune détective privée pour le moins atypique mais néanmoins charmante? Avec le risque de découvrir, à la fin de l’histoire, bien plus que la simple solution de l’énigme…
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Chronique

Est-ce que c’est un roman intéressant ? Sans doute, comme je l’ai fini par mon propre gré, sans être tenu par aucune promesse de chronique envers l’auteur. Est-ce que c’est un roman qui fait rire, ou au moins sourire ? Pas de rires, mais assez souvent, j’ai souri, oui. Le chap. 16 connaît même des moments hilaires, quand Peter, se trompant sur toute la ligne, croit s’étant précipité dans la gueule du loup, tirant ses conclusions sur « quel genre de boulot devait exercer Madame Zita ».  

 Est-ce que l’humour est intelligent et est-ce que le roman est bien écrit ? Ah, voilà le problème : l’humour est intelligent, mais il l’est trop. Il se montre soi-même du doigt et se vante : « Voyez comment je suis malin ! » Et l’écriture est belle, mais tant belle qu’elle succombe à se miroiter dans sa propre beauté, tombée amoureuse d’elle-même. C’est la sorte d’auto-conscience qui pèse sur un texte.
Mais ce qui sauve ce livre, ce qui le porte même au seuil de quatre étoiles – et peu a manqué pour qu’il le franchisse – c’est une auto-conscience autre, une auto-conscience franche, déroutante, ironique. Pour cette chronique je n’en explicite que l’exemple le plus significatif. À vrai dire il ne me reste rien à écrire : l’auteur s’est fait son propre chroniqueur, dans le cadre de la narration, et un chroniqueur même sévère. Par cela, cette auto-conscience critique finit par neutraliser avantageusement la peu avenante auto-conscience de la propre sagacité. 

Le premier chapitre on pourrait l’interpréter comme une « mise en abîme ». C’est une histoire fictive imbriquée dans cette histoire fictive de « La Tentation… » et les personnages commenteront plus tard sur elle – mais en commentant en vérité le récit dont ils sont eux-mêmes les personnages. Grand clin d’œil de l’auteur au lecteur. Alors, je ne répète que les points centraux d’auto-critique de l’auteur lui-même et je vais en donner mon opinion :

 

– « Et ça vous plaît ce style un peu ampoulé et ces phrases longues de trois kilomètres ? »
– « Vous appelez ça de l’humour, vous ? »

En effet, ce sont deux points de critique différents, mais l’un me semble contenir la raison d’être de l’autre : l’auteur a choisi ce style particulière apparemment trouvant que c’était comique, plus encore, que c’était de l’humour intellectuellement raffiné. Et tout le monde conviendrait que « La tentation … » est une histoire tout à fait astucieuse ; mais parfois la sagacité est forcée, ce qui se reflète dans l’effort d’octroyer à tout ce qui se décrit, même à la chose la plus banale, un tournant de comique fin. L’auteur enchaîne des séries de métaphores, de comparaisons et de descriptions inhabituelles pour communiquer même ce qui ne vaut d’aucune manière être relevé par une telle sur-abondance de langage tropique. Et cela, contrairement à l’intention, n’est ni drôle ni raffiné, mais finit par alourdir considérablement la lecture.
Juste un exemple : « L’ordinateur moulina donc pendant quelques secondes, produisant un ronronnement soyeux, avant de nous révéler avec un contentement manifeste qu’il y avait effectivement une solution, et que l’on en saurait plus si on voulait bien se donner la peine de cliquer sur le bouton portant fort opportunément la mention « Cliquez ici ». » Le lecteur, épuisé, se traîne à travers des passages entiers de telles phrases sans comprendre le moins du monde le pourquoi du déploiement d’un tel langage altéré, parce que pour la banalité du fait, tout aurait été dit, dans ce cas-ci, si Ravera avait écrit : « Après quelques secondes le programme trouva des résultats. »
Avec le texte tant qu’il est, l’effet comique est souvent étouffé. Il n’y a plus de différence entre des descriptions prosaïques et des descriptions humoristiquement décalées. C’est comme si on voyait une sitcom américaine où des rires préalablement enregistrés d’un public non-existant sont rajoutés si souvent aux scènes, même si rien de drôle se passe, que finalement les situations vraiment drôles ne se trouvent plus accentués par le rire. Au contraire, donc, ce rire du fond prend l’effet inverse ; comme il accompagne tout, il nivelle tout, aplanit tout, et le spectateur commence à somnoler dans l’indifférence – ici, le lecteur.

 

– « les digressions scientifiques sont à peu près correctement traitées, même si tout cela est parfois un peu tiré par les cheveux »

Rien à dire en quant aux sciences naturelles ; seulement, en quant aux sciences humaines, deux mots :

Du bout sur la « textique » je n’ai pas compris grande chose. Mais l’analyse des poèmes, se servant de cette pratique, ne paraît donner que des résultats complètement ordinaires dans une quelconque analyse d’ordre structuraliste. « Il n’y a ainsi plus de poète ou d’auteur, mais un « personnage » » – rien de nouveau là-dedans. En narratologie on fait tout naturellement la différence entre l’auteur réel et le narrateur. D’ailleurs l’analyse semble plutôt retomber dans les temps de spéculations psychologiques désormais disqualifiées; par exemple, le jugement que l’usage du pluriel par la 1ère personne du singulier révèle « une propension à la mégalomanie ». Avouons que ça me paraît en effet un peu tiré par les cheveux, parce qu’on ne va pas m’imputer la même propension pour avoir écrit „Avouons“. Ici, comme d’autre fois, Ravera se sert de l’exagération; Peter demande, émerveillé: « On peut vraiment déduire tout ça » d’un poème, pourtant, Eléanore ne lui explique rien de plus ce qu’un lycéen n’est pas censé savoir débiter dans les examens de baccalauréat.

Faut ajouter qu’un pas décisif dans l’investigation se fait parce que Eléanore applique ce qu’elle appelle de la « stéganographie » aux poèmes ; discipline qui, plus au moins, cherche un autre message dans le message. En vérité il me surprend assez que pour Peter et ses compagnons il se dégage tout naturellement d’un passage tel que « l’attente, à Sion, de l’abscisse dorée, Si pro » la phrase de « la tentation de la pseudo-réciproque » quand ils se le répètent plusieurs fois à l’orale. Soit qu’il me manque simplement cette intuition phonétique du locuteur langue maternelle, mais pour moi cette phrase n’aurait jamais ressorti des mots cités – le même vaut pour les autres exemples.

 

– « le héros ne conclut pas avec l’héroïne »

Là, c’est plutôt le signal de l’auteur au lecteur attentif qu’il est en train de faire de l’auto-critique. Parce que dans l’histoire que, superficiellement, on critique ici, il n’y a sûrement aucune relation héros-héroïne. Pour autant que le lecteur sache, il n’y a même pas une héroïne. Il n’y en a que dans le récit propre, c’est le personnage d’Eléanore.

Ce point d’auto-critique est même injuste. Si l’histoire ne prend par fin dans une conclusion amoureuse, de petites scènes sensibles évoquent la promesse d’une telle conclusion dans une de futures épisodes. L’auteur sait bien garder la tension ; on verra Peter et Eléanore seuls blottis dans un coin et Eléanore se penchant sur lui et lui chuchotant à l’oreille – quoi, au juste ? On le le saura pas, l’interruption classique survient. Mais le lecteur déguste avec plaisir cette nouvelle miette pour nourrir son espérance.

En somme, ce livre présente une action qui, pour le général, sait intriguer le lecteur et lui donne envie d’en connaître la suite.

Quant à l’écriture, deux niveaux d’auto-conscience sont constamment présents. L’un saute péniblement aux yeux et exerce un effet fatiguant. L’autre, au contraire, est plus discret et ne surgit à la superficie du texte que dans de rares moments, comme dans cet exemple d’auto-critique discuté ici ; mais ce niveau met en évidence une écriture moderne et ironique, encadrant parfaitement avec la finalité humoristique du texte. Et l’un niveau, par sa surprenante fraîcheur, achève de rendre plus flexible, plus allègre même la pesanteur sclérosée de l’autre.

Donc, pour garder ma critique dans les justes proportions : c’est un bon livre et je souhaite savoir comment son histoire, l’histoire de Peter (et de Eléanore), va continuer.

 

Évaluation : 3 de 5 étoiles

 

Lien avec le site Internet de l’auteur (distribution directe de la première épisode par l’auteur)
Lien avec Amazon.fr (format Kindle, broché aussi disponible)